La sociologie de l’éducation – Introduction générale

La sociologie de l’éducation

Par Leandro Gilgen, éducateur du SER

 

1. Définition et objectifs de la sociologie

La sociologie est née au XIXè siècle et s’inspire directement de la philosophie, notamment la philosophie des Lumières du XVIII.
Plusieurs philosophes se sont intéressés aux phénomènes sociaux :  Montesquieu dans « l’esprit des lois » (1748) et J.Jacques Rousseau dans « du contrat social » (1762) – c’est la question du lien interindividuel que soulève Rousseau.

Auguste Comte (1798-1857) est considéré comme son fondateur (le nom de « sociologie » vient de lui). Grands sociologues – Emile Durkheim (1858-1917), Max Weber (1864-1922)

La sociologie apparaît avec les révolutions industrielles qui provoquent de profonds changements dans l’organisation quotidienne des Français. C’est avec la volonté de comprendre ces transformations que la sociologie se développe. Une méthode de recherche s’instaure afin de faire de la sociologie une véritable science et dépasser les interprétations idéologiques.

Définition

Dans « les règles de la méthode sociologique » Durkheim définit la sociologie comme la science des faits sociaux ou l’étude des faits sociaux.

« Est fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure, ou bien encore, qui est générale dans l’étendue d’une société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses manifestations individuelles » Durkheim

Pour Durkheim, caractéristique des faits sociaux, leur aspect contraignant. Ils s’imposent à l’individu.  Durkheim est un fervent défenseur du « holisme méthodologique » (manière d’analyser les faits comme existant indépendamment des individus auxquels ils s’appliquent – le tout plus important que les parties).

Max Weber est rattaché à «l’individualisme méthodologique » (les phénomènes collectifs n’existent qu’à travers les personnes qui les incarnent – les parties plus importantes que le tout). Durkheim établit une distinction entre les comportements physiques (les pratiques) et les dispositions mentales (les représentations). Les faits sociaux influencent les deux à la fois.

Objectifs de la sociologie

On en retiendra deux :

Le premier objectif est la description des faits sociaux. La sociologie souhaite saisir les faits sociaux tels qu’ils existent et adopte une démarche scientifique objective. Weber appelle cela la «neutralité axiologique ». Autrement dit pour bien comprendre le monde social, il faut distinguer :

• les jugements de fait qui portent sur des réalités tangibles (ex : ce groupe comprend 10 élèves)

• les jugements de valeur, destinés à donner une appréciation (je n’aime pas ce groupe)

Seuls les jugements de faits constituent la base d’une réflexion scientifique.

Le travail du chercheur consiste à recueillir les points de vue limités de chaque individu, de les cumuler afin de dépasser le caractère subjectif et tendre vers l’objectivité. Il mobilise différentes méthodes pour décrire les faits sociaux : Méthode quantitative – recourt aux statistiques et la Méthode qualitative – entretiens, observation.

Réunissant les deux, la sociologie mobilise la comparaison afin de saisir ce qu’il y a de commun ou de marginal. La comparaison est gage d’objectivité : c’est en observant la diversité du monde social que l’on peut comprendre et expliquer ce qu’il y a de spécifique et commun à chaque individu.

Le deuxième objectif est la compréhension et l’explication. Le sociologue, à partir des descriptions obtenues (données sociologiques) essaie d’expliquer les situations étudiées. Ces explications ne sont pas uniques ni totales, elles sont partielles et pluralistes. K.Merton, distingue les théories générales et les théories de moyenne portée. Distinction entres les sciences dites « dures » celles qui permettent d’établir des vérités variables et universelles et les sciences dites « molles » comme les SHS en raison de la capacité réflexive de l’être humain.

Chaque sociologue insiste davantage sur certains aspects pour expliquer les faits sociaux. Pour certains les comportements sont le résultat de déterminismes sociaux, pour d’autres de stratégies propres à l’individu. Dans tous les cas, il n’y a pas de bonnes ou mauvaises explications seulement des interprétations qui privilégient certains facteurs explicatifs.

2. Concepts fondamentaux

Connaître leur sens est indispensable.

La socialisation

La socialisation peut se définir comme l’apprentissage des manières d’être et d’agir caractéristiques des groupes sociaux auxquels appartiennent les individus. Grâce à la socialisation l’individu s’approprie les normes et les valeurs spécifiques à son milieu social. Les normes (lois, règlements..) sont apprises grâce la sanction, les valeurs (respect…) n’ont pas de caractère contraignant. Ce sont des principes dont s’inspirent les individus pour se comporter au quotidien. Normes et valeurs sont transmises par la socialisation. La socialisation se déroule tout au long de la vie.

Deux types de socialisation (établies par Peter Berger et Thomas Luckmann dans « la construction sociale de la réalité – 1966)

• La socialisation primaire se déroule pendant l’enfance et concerne l’apprentissage des savoirs et des comportements de base et généraux. Cette socialisation s’opère dans la famille et l’école, mais aussi les amis et les médias. L’enfant apprend sans remettre en question – la distance critique avec ce qu’on lui inculque apparaît grâce à l’implication de l’individu dans divers groupes sociaux. Transmission d’un système normatif et interprétatif de la réalité qui sert de boussole au quotidien. Les savoirs qu’incorpore le jeune enfant dépendent à la fois du milieu dans lequel se déroule la socialisation primaire (famille ou école) et des connaissances que lui fournissent les adultes socialisateurs.

Par ex, les familles des milieux populaires éduquent de manière plus autoritaire que les familles de milieux plus aisés qui laissent davantage d’autonomie.

• La socialisation secondaire se déroule à l’âge adulte dans le sens où la socialisation n’est jamais achevée, ni complètement réussie. Elle s’opèrent grâce aux apprentissages pendant la vie d’adulte et de comportements spécifiques – l’individu personnalise son identité,  et il a la capacité de s’opposer aux normes et valeurs en raison de son implication dans de multiples groupes sociaux.

Le processus de socialisation s’opère dans un double sens :

• L’identification – apprentissage des comportements communs au groupe social auquel on appartient.

• L’identisation (ou personnalisation) – processus par lequel l’individu tend à se différencier, à devenir autonome, à s’affirmer par une relative distinction aux autres.

La socialisation secondaire s’opère donc dans ce double mouvement : s’identifier à son groupe d’appartenance et s’en distinguer.

La socialisation scolaire

Elle apparaît en Europe au XVIII siècle avec l’école. Les enfants sont alors perçus comme des êtres immatures qu’il faut éduquer. Socialisation basée sur relation  pédagogique entre maître et élève, transmission des savoirs. Système scolaire gratuit et obligatoire.
La socialisation scolaire peut donc se définir comme l’ensemble des apprentissages réalisés dans le cadre du système éducatif. Savoirs explicitement inculqués mais aussi toutes les expériences réalisées dans le cadre scolaire. La socialisation scolaire implique un rapport pédagogique, une soumission à un certain nombre de règles. Les comportements et interrelations entre enfants et adultes socialisateurs peuvent aussi produire des changements ou un ethos particulier. Les élèves co-construisent les situations scolaires dans un processus de subjectivation de l’expérience scolaire. Acquisition du « métier d’élève » (Philippe Perrenoud dans « métier d’élève et sens du travail scolaire »)

La culture

La culture, c’est le résultat du processus de socialisation.  (on ne parle pas de la culture au sens des arts ou de la littérature). La définition anthropologique est plus vaste. Tout individu possède une culture, celle de la société. La culture est le ciment des sociétés. Elle peut se définir comme le mode de vie de ses membres c’est à dire l’ensemble des idées et des coutumes que l’on apprend, partage et se transmet de génération en génération. Dans une culture on distingue les éléments matériels et immatériels qui relèvent des processus mentaux et comportementaux qu’on peut classer en 3 groupes :

• Le système de valeurs, croyances et symboles

• L’ensemble des normes ou conduites (normes formelles ou informelles)

• La langue parlée et écrite.

La culture n’est pas un tout unique et indivisible. Elle est constituée d’un ensemble de caractéristiques et pratiques culturelles multiples selon la classe sociale, le genre, l’âge, les croyances religieuses.  On parle de sous-culture pour un groupe particulier au sein d’une société globale et de contre-culture si un groupe particulier est en conflit avec une culture dominante.

La structure sociale

Le groupe social :  C’est un ensemble de personnes qui maintiennent des relations durables avec des conduites similaires et ayant des objectifs, des croyances et des valeurs communs. Pour qu’un groupe social existe, il faut qu’il y ait une conscience de groupe, une identification, une cohésion dans les actions et une intégration mutuelle des membres (la famille, la classe…)

Les institutions sociales : Une institution sociale est une unité constitutive de la structure de la société. Elle a pour objectif de réguler les relations entre les individus. C’est l’ensemble des normes et des règles de conduite qui régulent l’activité d’une société.
Ex d’institutions sociales = pratiques sociales qui jouissent d’une signification importante, elles concernent la parenté, le reproduction, la production des biens etc… ex d’une institution familiale (le mariage), éducative (les règlements scolaires), économique (le contrat de travail) politique (les principes démocratiques)….

Le champ

Le terme « champ » selon Pierre Bourdieu, désigne une partie du monde social (appelé espace social) régit par des lois qui sont en partie spécifiques et en partie communes au reste de la société. Il se définit par des rapports de force. Ex : champ politique, religieux, scientifique, scolaire…

Les différentes approches des phénomènes sociaux

La macrosociologie: C’est l’analyse des relations sociales au sein d’ensembles sociaux vastes  tels qu’un pays ou une ensemble de pays, ce que les sociologues appellent la société globale. Dans le champ éducatif, on parlera du système éducatif dans son ensemble, au niveau international par ex.

La microsociologie :  C’est l’étude des interactions sociales au sein de groupes sociaux restreints, c’est à dire ne comportant que quelques personnes.
Dans le champ éducatif, on s’interessera par ex à un établissement, ou une classe, voire un groupe d’élèves en particulier.

Le  constructivisme: Les réalités sociales font l’objet d’une construction permanente. Les comportements les plus naturels sont en réalité le produit d’un apprentissage intériorisé et de normes sociales sans cesse renégociées.  (Bourdieu, Norbert Elias, Berger et Luckmann)

Le fonctionnalisme: Les fonctionnalistes s’intéressent à la finalité des institutions sociales. A quoi sert une institution dans une peuplade lointaine telle que …..ils lui attribuent ensuite une fonction économique, familiale etc…la limite est que l’identification des fonctions d’une institution ne permet pas d’expliquer le changement.  (Talcott, Merton)

L’interactionnisme : Cette approche naît en réaction à la macrosociologie. On retrouve le principe du constructivisme  comme base. La société n’est pas donnée une fois pour toute, elle se construit sans cesse à travers la dynamique des relations sociales, à travers les interactions entre individus. Une  caractéristique essentielle de cette sociologie : le travail de terrain et l’observation in situ.

3. Définition et objectifs de la sociologie de l’éducation

La sociologie de l’éducation a pour objectif d’étudier les processus de socialisation scolaire, les déterminants sociaux des résultats et des destins scolaires, les rapports pédagogiques, les caractéristiques des institutions et du personnel éducatif, les relations entre les diplômes et les postes.

Durkheim pionnier de la sociologie de l’éducation.  Met en place les bases d’un programme d’analyse sociologique du fait éducatif. Il distingue clairement sociologie de l’éducation et pédagogie. La première repose sur des faits attestés, donc scientifiques, la seconde sur des comportements encouragés.
Distinction entre le descriptif (la sociologie de l’éducation) et la prescription (la pédagogie). « Tandis que les théories scientifiques ont pour but unique d’exprimer le réel, les théories pédagogiques ont pour objet immédiat de guider la conduite. Si elles ne sont pas l’action elle-même, elles y préparent et en sont toutes proches. C’est dans l’action qu’est leur raison d’être » L’éducation morale 1925

Durkheim définit l’éducation comme un phénomène éminemment social.  « L’éducation c’est l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objectif de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné » Education et sociologie 1922
Pour Durkheim – Deux grandes fonctions à l’école : l’intégration sociale et politique des futures générations ainsi que leur insertion dans la division sociale du travail.

Les orientations théoriques de la sociologie de l’éducation se divisent en 3 axes :

• Les théories des rôles et des interactions  – relations entre enseignants, élèves, familles, administration, économie….

• Les théories sur les institutions et les organisations scolaires – étude des structures (effet classe, effet établissement)

• Les théories socioculturelles – étude des relations entre l’enseignement et le reste des systèmes sociaux, tels que l’économie, la politique, l’administration.

Après avoir été macrosociologique pendant de longues années, la sociologie de l’éducation se déploie aujourd’hui tant au niveau microsociologique (analyse des rôles et des interactions), au niveau macrosociologique (analyse des relations entre le système éducatif et le reste de la société) et mésosociologique (intermédiaire) constitué par l’analyse des organisations et institutions scolaires (ex, un établissement).
En France, la sociologie de l’éducation est intégrée aux Sciences de l’éducation, mais elle fait débat en Europe.

 


Les fonctions sociales de l’éducation selon Emile Durkheim

1. une approche spécifique du phénomène éducatif

Durkheim (1858-1917) – Contexte historique spécifique :
• 1870 : guerre avec la Prusse et défaite de la France – contexte de l’enfance de Durkheim
• 1871 : tragédie de la Commune à Paris (mars à mai) a marqué Durkheim
Formation philosophique. Il souhaite pouvoir aider ses compatriotes à se frayer le chemin vers une société unie et solidaire, souhaite contribuer à l’impulsion de changements sociaux dans une cohésion qui permette à ses concitoyens de vivre « le bien par excellence » = la communion avec autrui.

Contexte économique et culturel :
• Essor du capitalisme industriel
• Prise de conscience de plus en plus aigüe des classes ouvrières qui s’organisent – thèses socialistes et marxistes.
• Montée de l’esprit « laïque » qui cherche à  contrer la main mise sur l’éducation par l’Eglise.
• Grands progrès des sciences physiques et naturelles qui  renforcent le pouvoir de l’esprit scientifique.
Durkheim se pose donc la question clé des rapports de l’homme et du groupe, du fondement des sociétés et pense que pour édifier une sociologie scientifique, il est urgent de dépasser les idéologies politiques et sociales.  Il s’attache à définir les conditions d’existence d’une société respectueuses des personnes et d’élaborer les modèles d’école et de pédagogie.

Précurseur incontesté de la sociologie. Premier sociologue de l’éducation.
Trois grandes publications posthumes :
• Education et sociologie (1922)
• L’éducation morale (1925)
• L’évolution pédagogique en France (1938)
Dans « règles de la méthode sociologique » (1895), on retouve son principe fondateur : « Les faits sociaux doivent être considérés comme des choses »
Durkheim participera activement aux débats sur l’éducation de l’époque sous Jules Ferry et les lois fondamentales entre 1879 et 1889.

 

2. Les fonctions de l’éducation dans la société

Afin de déterminer les fonctions d’un phénomène social, il faut avant tout « établir les correspondances entre le fait considéré et les besoins généraux de l’organisme social ».
Durkheim invoque « l’observation historique »  pour affirmer que :  « Chaque société, considérée à un moment déterminé de son développement, a un système d’éducation qui s’impose aux individus ».  Chaque société définit une représentation idéale de l’individu, de ce qu’il doit être du point de vue intellectuel, physique et moral. Cet idéal du comportement individuel défini par une société donnée est l’objectif éducatif que poursuivent les groupes sociaux responsables de la socialisation. La société ne peut vivre sans ses membres et l’éducation permet de perpétuer la société, de s’assurer sa pérennité  en fixant dans l’esprit les apparentements nécessaires à la vie en collectivité.
Ainsi par l’éducation, l’être individuel se transforme en être social.  « L’éducation c’est l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objectif de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné » Education et sociologie 1922
La socialisation s’opère dès la naissance, mais c’est cependant à l’école qu’elle est le plus systématisée, de telle sorte que celle-ci devient le lieu central de la continuité sociale lorsqu’il s’agit de la transmission des valeurs, normes et savoirs. Or chaque société change.  L’école au cours de l’histoire prend en charge des besoins émergents qui ne sont pas encore institutionnalisés dans la société politique d’ensemble.
Trois interrogations pour Durkheim
• Comment l’école peut-elle remplir une fonction de conservation de l’ordre social dans son ensemble et en même temps de changement ?
• De quelle manière les pratiques pédagogiques peuvent-elles être en même temps déterminées par la société globale et s’inspirer du fonctionnement du système scolaire dans ce qu’il y a d’autonome ?
• A quel modèle pédagogique recourir pour apprendre aux élèves, en même temps, le sens de la  communion avec autrui et des savoirs scientifiques et littéraires ?

Plus une société se différencie, plus les individus se spécialisent et dépendent davantage les uns des autres. C’est la culture intériorisée par les individus qui assure leur intégration à la société moderne et la cohésion de celle-ci. Ces périodes de fort changement social peuvent provoquer un affaiblissement de la portée socialisante des institutions éducatives et entrainer des situations d’anomie. (Affaiblissement des règles sociales qui laissent l’individu seul face à ses affects et passions sans régulation provenant du groupe) – Durkheim – le suicide – 1897

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